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Crises en Martinique : reflets d’une quête identitaire et d’un mouvement anticolonial

Photo du rédacteur: CoumanCouman


En 2009, en Martinique, le mouvement du Collectif du 5 février, a vu le jour. Il s’agissait d’une grève générale et illimitée. Les commerces, les écoles, les administrations, étaient fermées les premiers jours. Certains aliments étaient même rationnés. Au départ, le mouvement de contestation est parti d’un syndicat, mais très vite, il a été rejoint par d’autres groupes. Les revendications derrière ce mouvement, sont contre la « pwofitasyon ». D’ordre économique (augmentation des salaires les plus bas, baisse du prix des produits de premières nécessités, un meilleur accès à l’emploi etc…) mais aussi culturelles. Le peuple se révolte contre l’oppression et l’exploitation. Ils ont forcé l’organisation de réunion entres les représentants de l’état, les collectivités territoriales et du patronat, afin qu’il y ait une réelle réflexion et des actes décidés pour améliorer les conditions de vies.

Ils se sont organisés pour former des barrages devant les supermarchés, et bloquer les accès des sites industriels.



Crédit : JME / France-Antilles

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Le mot « béké » désigne les 3000 descendants créoles (nés sur l’île) des colons esclavagistes de la Martinique. Chez les Ibo (du Nigéria), le mot « béké » signifie « blanc ». (Cf. “D’où vient le mot ‘béké’ ?” Une autre histoire, 29 Aug. 2013, http://une-autre-histoire.org/dou-vient-le-mot-beke/. )

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Si ce mouvement a rassemblé autant de ‘classes sociales’ différentes, d’individus de tout âge, c’est parce que tout le monde est touché par ces mauvaises conditions de vies. La baisse du coût des produits de premières nécessités concerne tout le monde, et l’augmentation des salaires, de 200 euros, est demandée pour toutes les professions. De plus, le taux de chômage chez les jeunes, est très élevé, ce qui complique leur autonomie.

Pendant la grève, la foule chantait « Matinik cé ta nou cé pa ta yo ! » (la Martinique est à nous, pas à vous). Certains y ont vu le symbole de l’indépendantisme.

Depuis 2018, une autre contestation est apparue, par rapport à un problème existant depuis de nombreuses années : le Chlordécone. Ce produit, avait été interdit en France en 1990, mais en Martinique, sont utilisation a perduré encore quelques années, contaminant une grande partie de la population. Ce pesticide a touché les eaux et les sols, donc tout ce que mange et boive les martiniquais, qui ne proviens pas de l’exportation, les rends malade. La population conteste aussi contre l’injustice face au coût du test de dépistage, qui est de 140 euros, et qui n’est pas remboursé.

Cette année, il y a eu une autre revendication, contre l’apartheid social. Les martiniquais en ont eu marre de voir leurs plages devenir, tour à tour privatisée par les « riches propriétaires ». Ils font installer des barrières, bloquant le passage sur des bouts de la plage. Des actions coup de poing ont été mené pour aller détruire ces barrières, pour la liberté d’accès aux plages. Et de manière indirecte, pour lutter contre cette domination et le mépris des békés sur les martiniquais, légitimé par les autorités.


Le drapeau


Le drapeau bleu, avec des serpents blancs, qui datait de 1766, utilisé par la marine navale et qui avait pour origine (incertaine), la présence de serpents venimeux, ramener sur l’île, pour faire peur aux esclaves, est contesté depuis toujours par les martiniquais, car ce drapeau les ramène à la traite négrière. Emmanuel Macron, qui était de passage sur l’île, en septembre 2018, a été interpellé par un martiniquais, qui lui a expliqué la signification du drapeau. Il a pris la décision de le faire retirer des uniformes de la gendarmerie. Une lettre de Claudine Duhamel (avocate et activiste au mouvement pour les réparations), écrite à tous les candidats de l’élection présidentielle française, utilise une comparaison forte de sens par rapport à ce drapeau. Elle écrit : « On imagine mal la république française offrir à ces représentants de l’ordre un costume comportant une croix gammée symbole du nazisme. ». Pour elle, l’esclavage a été reconnu comme étant un crime contre l’humanité, mais, à travers la présence de ce drapeau en Martinique, il y a une forme d’apologie de ce passé. Elle explique dans cette même lettre, qu’en signe de provocation, le signe esclavagiste a été apposé su l’uniforme des gendarmes, à la suite d’une contestation de celui-ci.

En 2018, Alfred Marie-Jeanne, président du conseil exécutif de la collectivité territoriale (CTM) a mis en place une consultation pour le choix du nouveau drapeau martiniquais. Cette consultation s’apparentait à un concours. Il fallait déposer en ligne une proposition et 3 finalistes ont été choisi par le jury. Ensuite, les martiniquais avaient le choix de voter pour leur préféré, mais le choix final revenait à Alfred Marie-Jeanne. Eve Abrosi, une jeune martiniquaise interrogée par le Figaro, considère que « l’on ne brandit pas un drapeau, parce qu'il est beau et joli ». (Agapé, Sélène, and A. F. P. agence. “La Martinique en quête d’un hymne et d’un nouveau drapeau.” Le Figaro.fr, 10 Déc. 2018)


Ce drapeau, qui a une forte signification (le rouge représenterait le sang versé, le vert l’espérance d’une terre, et le noir, les esclaves) est prôné depuis de nombreuses années par des groupes indépendantistes, anticolonialiste. Saint-Anne était l’une des premières communes de l’île à arborer ce drapeau (dès 1995), ce qui aura d’ailleurs valu un long procès au Maire, en opposition à l’Etat français. La maire de Fort-de-France, en février 2019, a instauré l’usage de ce drapeau, au côté du drapeau français, pour les bâtiments municipaux.

Il y a eu des actions menées pour l’imposer, il a été accroché au bord des routes, arborés lors des opérations blocages etc… une partie du peuple martiniquais cherche à montrer que c’est ce drapeau qui les représente, pas un autre.

Il y a une discorde avec la CTM, qui demande que le nouveau drapeau soit unique, et non déjà existant. Ce qui est perçu comme une injustice et un manque de considération de l’avis du peuple. Le drapeau rouge-vert-noir, se voit écarté, car il est jugé comme étant le symbole d’un seul groupe. Le 10 mai 2019, des pro drapeau rouge-vert-noir, ont brulé et piétiné le drapeau qui avait été choisi par le comité. Le comité se justifie en expliquant que le nouveau ‘fanion’ n’est pas le drapeau de la Martinique, mais qu’il servira simplement lors des déplacements sportifs et culturels martiniquais, ce qui est perçu comme de l’hypocrisie par ceux qui sont contre le choix de ce drapeau.


Analyse de ces luttes

L’identité martiniquaise est mise en question. Le peuple recherche, à travers ces actions, son émancipation. « Le Martiniquais veut se réapproprier son passé, sa culture, son monde, sa conscience, sa personnalité. Il l’a affirmé. Dans sa lutte pour le progrès, le peuple a conscience d’avoir toujours en face de lui une aristocratie blanche et très souvent béké. Et cette aristocratie est exploiteuse, profiteuse. » (Armand Nicolas). Elie Domota, (guadeloupéen) figure de ces mouvements, partage ses revendications salariales, en dénonçant le béké, et, dans un même temps, revendique l’identité noire des Antilles. Cette crise montre que le peuple veut prendre les décisions et être autonome

Elles sont aussi le reflet du combat des classes exploitées contre les classes dominantes. Le passé historique qui oppose les békés aux martiniquais est toujours présent, il n’y a plus, officiellement d’esclaves, mais les békés tendent à rester les ‘maitres’ de cette île. Les békés sont accusés d’être responsable de la vie chère, qui est 30% plus chère qu’en métropole. ... En 2009, Canal + a diffusé un reportage laissant la parole aux békés. L’un d’eux a tenu des propos expressément discriminant, ce qui a renforcé la colère du peuple. Certains se sont unis pour créer « Télé Otonom Mawon », une télé libre, pour laisser la parole à ceux qui le souhaite, et à ceux qui ne l’ont d’habitude, pas.

Il est difficile pour certains martiniquais de trouver une alternative, sachant que les békés détiennent la plupart des entreprises agroalimentaire, des concessions automobiles etc… Certains manifestants travaillent même pour un de ces ‘maitres’.

Cette crise montre que c’est la société civile qui tente, et commence à s’accaparer le pouvoir. Les rapports entre le peuple et les représentants du pouvoir doivent être modifié. « L’urgence, ce sont les états généraux du peuple, de ses organisations authentiques, sans la tutelle des forces économiques dominantes (békés et autres), sans le parrainage paternaliste de quiconque. » (Gilbert Pago, A l’heure de La Contestation Anticapitaliste et Anticoloniale. 9 mars 2009)


Analyse institutionnelle

Au départ, on a une crise, qui donne lieu à des manifestations contre la vie chère. Puis celle-ci devient un élément déclencheur d’autres revendications et donne la parole au peuple qui revendique un respect de leur identité, ainsi que des conditions de vie décentes.

La France ‘métropolitaine ‘, et la Martinique se divise. Sur l’île, il y a cette même division entre les habitants et les représentants de l’Etat, ainsi qu’avec les Békés. Ce mouvement est un analyseur. Patrice Ville (1978) introduit dans l’analyse institutionnelle la notion de dérangement. A travers cette crise, on voit que les normes commencent à changer, le peuple cherche à les transgresser, à les modifier et à renverser le pouvoir. Le dérangement met en lumière des problèmes de la société martiniquaise dans son fonctionnement. Un changement social est recherché. L’analyseur permet de faire apparaître les intentions des différents groupes, leurs points de vus… L’institué, qui serait un ensemble regroupant les lois françaises, les drapeaux, les prix contestés, se retrouve en affront de l’instituant, qui représente les contestations du peuple (le choix du drapeau, la liberté, des prix en baisse, l’utilisation du créole à l’école...).


Bibliographie

· [UGTG.Org] Armand Nicolas : Analyse de La Grève Générale En Martinique. http://ugtg.org/spip.php?article1041. Accessed 22 Dec. 2019.

· “Qu’est-ce que le scandale du chlordécone, ce pesticide ultratoxique ?” Le Monde.fr, 27 Sept. 2018, https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/09/27/chlordecone-macron-va-faire-des-propositions-les-martiniquais-se-plaignent-du-cout-du-depistage_5361151_3244.html.

· Chaudenson, Robert. « Le cas des créoles », Hérodote, vol. 105, no. 2, 2002, pp. 60-72.

· “D’où vient le mot ‘béké’ ?” Une autre histoire, 29 Aug. 2013, http://une-autre-histoire.org/dou-vient-le-mot-beke/.

· “La crise sociale cache une crise identitaire en Guadeloupe.” La Croix, 11 Feb. 2009, https://www.la-croix.com/Actualite/France/La-crise-sociale-cache-une-crise-identitaire-en-Guadeloupe-_NG_-2009-02-12-531289.

· “Le drapeau de la Martinique, symbole esclavagiste ?” Une autre histoire, 27 June 2015, http://une-autre-histoire.org/le-drapeau-de-la-martinique-symbole-esclavagiste/.

· A l’heure de La Contestation Anticapitaliste et Anticoloniale. http://inprecor.fr/article-Martinique-A%20l%E2%80%99heure%20de%20la%20contestation%20anticapitaliste%20et%20anticoloniale?id=703. Accessed 27 Dec. 2019.

· “Le drapeau de la Martinique, symbole esclavagiste ?” Une autre histoire, 27 June 2015, http://une-autre-histoire.org/le-drapeau-de-la-martinique-symbole-esclavagiste/.

· http://eduscol.education.fr/pid23199-cid55282/enseignement-creole-convention-etat-region-martinique.html

· Miehakanda, M'Badi. « Vers une culture de la diversité », Enfance, vol. 4, no. 4, 2011, pp. 497-507.

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